Biography

Au commencement était la bombe

Tracé direct, writing, block letters, whole car, tags, blaze, un langage d’initiés que maîtrise à la perfection celui qui se fait désormais appeler Gully. 

C’est dans le Val-d’Oise, en région parisienne, que l’adolescent de 13 ans, férus de bande-dessinées franco-belge et de hip-hop, commence à se frotter à l’adrénaline d’un art vandale. Son penchant pour les grosses lettres carrées chromées, faciles à tracer au rouleau, lui assure la meilleure des visibilités. Être vu et reconnu n’est-ce pas le Graal de tous les graffeurs ? 

Totalement autodidacte, c’est à l’école du graffiti et de la camaraderie qu’il se forme et fait évoluer son style, du lettrage à la reproduction d’icônes de la culture populaire. A force de peaufiner son univers, de noircir des cahiers d’esquisses, il nourrit des velléités artistiques et s’intéresse à l’espace réduit et contraint de la toile tendue sur un châssis. Pour autant, il ne renie pas son passé, bien au contraire.

Dans ses tableaux fourmillant de détails et de références, il n’est pas rare de croiser des œuvres du duo brésilien Os Gemeos, du pochoiriste Blek le Rat ou encore de tous les pionniers du graffiti new-yorkais qui l’ont fait rêver. Sa petite fierté , lui qui n’a jamais vraiment mis son blaze en avant ? Être le seul à savoir que d’anciens graffs s’agrippent encore, pour certain depuis 1995, à la peau des murs qui longent les lignes ferroviaires de la grande ceinture francilienne. « C’est le vrai sentiment de puissance ! »

 

La naissance de Gully

« J’ai vite compris que la signature dans la conception de l’œuvre était primordiale. Comme dans le graffiti, pour être identifiable il faut sortir du lot. » En marge de son activité délictuelle ô combien addictive, véritable sport collectif qui libère les endorphines et débride les imaginaires, il explore d’autres contrées artistiques, plus conventionnelles.

Pour autant, il n’envisage à aucun moment l’idée de sortir de la clandestinité.

Discret par nature, sans être introverti, il choisi un nouvel alter ego pour s’aventurer dans des créations, à l’huile ou à l’acrylique, plus colorées, léchées et oniriques ; des mises en abîmes qui viennent rappeler que l’art est essentiel, un catalyseur qui initie des changements intimes et sociétaux. « Je n’ai jamais revendiqué le graffiti. Je ne vois pas l’intérêt de relier les deux. C’est mon histoire, j’aime en parler et c’est aussi la raison pour laquelle je suis un artiste considéré comme issu du graffiti. C’est comme DJ Snake, il vient du rap, mais il n’en fait plus ». 

Gully, symbolise quelque part l’insouciance et la malice de l’enfant resté lové dans l’esprit frondeur de l’artiste en rupture avec sa quête de sens et du beau. Pour traduire cette transition (« gully » signifie ravin en anglais), il opte en 2008, pour ce pseudo de 5 lettres, dont il aime la graphie, qu’il emprunte à une bande-dessinée et à une chaîne de télévision que le jeune père qu’il est devenu découvre. Convaincu qu’il ne faut jamais déconnecter l’adulte de l’enfant qu’il a été, Gully place les enfants au centre de son œuvre.

 

 

Le monde à hauteur d’enfants

Figure incontournable de la peinture, l’enfant a influencé de manière importante l’art moderne et contemporain, offrant des repères sur l’évolution de son statut dans la société à travers les époques jusqu’à sa consécration au 20e siècle où il devient une véritable source d’inspirations. Des peintres tels que Dubuffet ou Picasso se saisissent ainsi de leur manière maladroite, brute et distordue de dessiner pour élaborer un langage plastique nouveau, pur et vrai !

Pour Gully ce n’est pas tant le geste qui l’intéresse mais ce que peut raconter des yeux innocents et surtout transmettre sa passion pour l’art. L’universalité du sujet permet d’exprimer un large éventail d’émotions. Il a trouvé dans les illustrations de Norman Rockwell, le storyteller de l’Amérique, une porte d’entrée dans l’univers des

illustrateurs américains des années 50, 60, 70. « Quand on regarde toutes ces couvertures, l’enfant transmet quelque chose que l’adulte ne transmet pas. On peut se projeter plus facilement. C’est la raison pour laquelle je suis allé jusqu’à m’imaginer les artistes enfants car cela me permet d’être dans ma vérité. » 

Ses premières oeuvres ont d’abord été traversées de multiples influences, de la ligne claire d’Uderzo au photoréalisme de Rockwell en passant par le naturalisme de Hopper, ou le pop art de Warhol avant de s’affranchir du courant de l’appropriation pour aller vers des récits graphiques et un univers empreint d’un réalisme surréaliste de plus en plus singulier et identifiable au premier coup d’oeil. Les enfants ne se contentent plus de regarder les tableaux  des maîtres que Gully reproduit à la perfection, ils interagissent avec le contexte et jouent même « aux sales gosses ». 

Gully ne cesse d’enrichir sa gamme de personnages et en dénombre pas moins de 25, au premiers rangs desquels, Andy, Jean-Michel, Nikki ou Salvador : « Je ne cherche pas à me rapprocher d’une ressemblance, j’imagine enfant des artistes qu’on a connu dans leur corps d’adulte. Je déguise des enfants pour qu’ils ressemblent à des adultes et ensuite je m’amuse avec eux ». Il imagine ainsi des rencontres improbables, comme celle de Rockwell avec Picasso, ou des situations rocambolesques comme un Warhol enfant qui vole un tableau à la barbe et au nez d’un agent qui dort… Toute ressemblance avec le jeu du chat et de la souris auquel s’adonne les graffeurs n’est évidemment pas fortuit. Un succès immédiat

En 2009, Gully participe à sa première vente aux enchères organisée par Millon et Cornette de Saint Cyr. Il y présente Alésia, une plaque de plan de métro de la ligne 4 sur laquelle est peint Astérix et écrit « Now street art don’t stop at Alesia ». Estimée entre 800 et 1200 €, la pièce part à 2100 €. Dès lors sa cote ne cessera de grimper avec des pics spectaculaires. En 2013, Dohanos meet Lichtenstein s’envole à plus de 50 000 euros, en 2019 c’est à plus de 70 000 euros qu’est adjugée Hommage NTHK Magritte 17. En 2021, l’artiste enregistre un nouveau record lors d’une vente Louiza Auction à Bruxelles : le triptyque Children meet Delacroix, Géricault, Poussin and Manet/Children meet Banksy, Gully, Obey,Jonone/Children meet Picasso, Hopper, Hirst (9mx2m, 2019) est vendue à 168 000 euros (soit 218 000 euros avec les frais). Gully passe de l’ombre à la lumière, mais toujours à couvert. Les trompettes de la célébrité ne l’attirent pas, son anonymat est avant tout gage de sérénité. 

Comme d’autres avant lui, il préfère rester en retrait du folklore pour se concentrer sur son travail. Contrairement à Invader et Banksy, il n’a pas besoin de cet anonymat pour parler de son art, ce n’est pas un concept. Il se sent d’ailleurs plus proche de la position du duo casqué Daft Punk. Jeté dans l’arène d’un marché excité par les artistes issus du graffiti et du street art, Gully fait ses premiers solo shows avec le réseau international de galeries Opera Gallery réputée pour ses prestigieuses collections de Pop art américain, de figuration libre, d’impressionnisme ou d’abstraction d’après-guerre, et aussi pour accompagner des artistes contemporains. 

Entre 2012 et 2017, il expose à Paris, Tokyo, Miami, Dubaï et Séoul. Face à la demande croissante de collectionneurs internationaux, Gully n’est plus en mesure d’envisager une exposition d’envergure. Sa production, assurée avec l’aide de ses assistants, est à peine vernis, qu’elle est vendue. Plutôt que d’augmenter la cadence picturale, il préfère expérimenter de nouveaux médiums, tels que la sculpture grandeur nature et l’animation. Gully planche d’ailleurs sur la réalisation d’une œuvre nft, l’animation d’un policier qui tourne en boucle, offrant une variation humoristique de la course poursuite. Il se verrait bien aller plus loin en donnant vie, un jour, à ses personnages…

Gully en 5 dates

1977 : Naissance en banlieue parisienne.
1992 : Il embrasse la cause du graffiti.
2008 : Il devient Gully.
2015 : Lors de sa première vente chez Christies, le tableau Canaletto meets the art of graffiti 3 est adjugé 43500 €.
2016 : Dernier solo show à Opera Gallery, Paris.

 

 

 

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